Treñ patatez/Le "train à patates"
Vers les années cinquante, pas mal de gens se déplaçaient encore à pied ou en vélo. Il y avait aussi le "Petit train", comme on l'appelait, surnommé encore "train à patates" vu qu'il transportait des wagons de patates de Paimpol à Saint-Brieuc. Des pommes de terre pour les parigots, contents de les manger, épluchures et tout: Ils ne faisaient pas la fine bouche après la guerre. A cette époque, les vaches levaient encore bien la tête et haut les cornes pour regarder le cheval noir, celui qui crachait une fumée noire. Les enfants plaçaient des pièces de dix ou vingt sous sur les rails du chemin de fer pour voir comment elles seraient aplaties par les roues du train. C'était une grande distraction à cette époque. Le visage noirci par la suie, les chauffeurs du cheval noir n'étaient pas non plus innocents. Des pelletées entières de braises étaient jetées sur les broussailles de chaque côté de la voie, histoire de la dégager.
"Tortillard", qu'on l'appelait aussi, le petit train, vu qu'il suivait un parcours tortueux. Il sifflait quand il s'approchait pour faire savoir aux gens qu'il arrivait. Quand on écoutait bien le bruit de la machine à vapeur, il nous semblait qu'elle parlait comme nous. Quand il descendait vite de la petite gare de Saint-Brieuc vers le pont de Souzain, il disait comme çà: "Deus'ta Janet, kluch da staotat, deus'ta Janet, Kluch da staotat" (ce qu'on pourrait traduire par "viens donc Jeannette accroupis-toi pour pisser" - ce qui, on l'avouera est moins ressemblant au langage-vapeur et moins 'poétique'-)
Mais quand il montait la côte raide de Plérin, ce n'était plus le même refrain; car, quand il se trouvait dans la partie la plus haute, on entendait plutôt: "N'on ket Kapapl, n'on ket Kapapl!" (en français: 'je suis pas capable'/ ou 'j'en peux plus')
Et puis quand il redescend à toute allure vers Pordic et là en s'arrêtant là devant le bistrot de Marcel Rossignol il lâchait la vapeur en faisant: "pisssss...at emaon ! Pissss...at emaon" (je pisse...je pisse) Après çà, il allait son chemin vers Binic en vomissant des nuages de fumée noire et des étoiles de braises.